dimanche, 04 octobre 2015
L'Aristocrate fantôme
C'est ainsi que s'intitule l'un des trois volumes consacrés aux femmes de la Commune de Paris, publiés sous le titre générique de Communardes !
Le scénario est de Wilfrid Lupano, les dessins d'Anthony Jean. Disons tout de suite que c'est superbe sur le plan graphique. Les couleurs sont splendides et l'édition est très soignée. Le livre est un bel objet.
L'héroïne est une ravissante jeune femme, Elisabeth Dmitrieff, issue de la noblesse russe, polyglotte, engagée pour la cause des femmes et, plus généralement, le progrès social.
A ceux qui trouveraient invraisemblable (ou cliché) ce personnage romanesque, je précise qu'elle a réellement existé. Elle fut proche de Karl Marx (qui apparaît dans la bande dessinée) et contribua à la fondation de la première Internationale. Elle a même une place à son nom, à Paris, dans le IIIe arrondissement :
Mais revenons à la bande dessinée. L'action de l'héroïne est présentée dans le contexte de la Commune, dont on ne nous cache pas les tensions internes... ainsi que le scepticisme que suscite parfois l'activisme féminin. C'est qu'Elisabeth n'est pas qu'une militante "de gauche". Elle veut que tous les hommes respectent davantage leurs congénères de l'autre sexe... et que les femmes puissent se battre à leurs côtés. Dans le même temps, elle est censée renseigner Karl Marx (resté à Londres) sur ce que sont ces étranges révolutionnaires, pas tout à fait dans la ligne de l'Internationale.
C'est vivant et souvent truculent. Certaines scènes sont assez crues et le langage est du même tonneau :
Je reviens sur la forme, vraiment belle. Le dessin, de facture classique de prime abord, se révèle sophistiqué quand il s'agit de représenter les émotions. Et quelles belles scènes de nuit !
Pour savoir ce qui a provoqué un tel effarement chez l'héroïne (au coeur pourtant solidement accroché), il faudra vous plonger dans cette bd très réussie, dont on peut lire un extrait sur le site des éditions Vents d'Ouest.
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lundi, 20 juillet 2015
Opium
C'est le titre d'une bande dessinée de Laure Garancher, dont j'avais déjà apprécié Mon Fiancé chinois. Ici, l'histoire a pour cadre les années 1840-1860 et les Guerres de l'opium, quand l'Occident (avec à sa tête le Royaume-Uni) a fait courber l'échine à un empire multiséculaire.
Comme dans sa précédente oeuvre, les femmes sont les moteurs de l'intrigue. Ici, ce sont deux soeurs jumelles, Mei Ju et Mei Yun, qui vont connaître des destins contrastés.
On découvre Mei Ju dans la première partie de l'histoire. C'est une demoiselle pleine de talents (parfois cachés). Elle vit à Canton, où elle travaille au service de la famille d'un riche commerçant, gros importateur d'opium.
Le deuxième chapitre revient sur l'enfance et l'adolescence des deux soeurs, inséparables à l'époque. Sous l'influence de leur père, grand patriote chinois, elles vont être amenées à faire des choix différents.
Dans le troisième chapitre, on suit à nouveau la belle Mei Ju, devenue espionne. Elle rencontre un jeune peintre britannique. Tous deux vont échanger sur l'art pictural... et dans bien d'autres domaines...
C'est un aspect de l'histoire qui revient à intervalle quasi régulier : l'intérêt pour la peinture, qu'elle soit occidentale ou orientale. La mère des héroïnes leur a appris à manier le pinceau. Elle-même est l'auteure de représentions de paysages... et Mei Ju aurait aimé elle aussi consacrer sa vie à cet art. Les péripéties de l'histoire chinoise l'ont poussée à changer ses projets.
Le quatrième chapitre montre les retrouvailles des deux soeurs. On en apprend plus sur la vie de Mei Yun... et l'on découvre le secret que cache Mei Ju.
Le cinquième chapitre est plus politique. Il démarre en 1858 et mène à la seconde guerre de l'opium et au saccage du Palais d'été par les Occidentaux. La grande histoire rejoint la petite, puisque Mei Ju est obligée de faire un choix terrible. De son côté, sa soeur va connaître un bouleversement dans sa vie sentimentale. Dans cette partie, je trouve que le côté romanesque se marie bien avec les considérations historiques. Au point de vue graphique, on sent que la dessinatrice a été marquée par certaines caricatures du XIXe siècle :
(En bas se trouve un dessin paru dans Le Petit Journal en 1898. On remarque que, chez Laure Garancher, l'Allemand est remplacé par un Américain.)
Je me garderai bien de raconter la suite. Sachez que le feuilleton familial se poursuit. La vie personnelle de Mei Ju subit encore les contrecoups de la vie politique chinoise, dans laquelle elle s'investit de plus en plus. On aimerait bien qu'il y ait une suite !
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mercredi, 15 juillet 2015
Mobutu dans l'espace
Cette bande dessinée, signée Aurélien Ducoudray et Eddy Vaccaro, aborde un aspect méconnu de l'histoire de l'actuelle République Démocratique du Congo : le programme spatial secret financé par le dictateur Mobutu, dans les années 1970.
Cela commence de manière ironique : de nos jours, des gamins s'amusent dans des bâtiments en ruines, où ils tombent sur une vieille affiche à la gloire du dictateur mégalomane Mobutu Sese Seko. Bien que celui-ci ait dirigé le Zaïre pendant une trentaine d'années, ils n'en ont aucun souvenir...
La suite nous présente le héros de cette histoire, un jeune ingénieur allemand prénommé Manfred, qui va être amené à travailler en pleine forêt équatoriale... car, peu de gens le savent, l'embryon de programme spatial zaïrois a été développé par des Allemands de l'Ouest (de l'entreprise Otrag) ; si bien que, lors de la première tentative de lancement, le compte à rebours a été donné en allemand !
Ce personnage de jeune homme un peu naïf introduit de la comédie dans l'intrigue, parfois violente. Sa découverte de l'Afrique s'accompagne d'épisodes cocasses, comme le passage par la douane, à l'aéroport, l'indemnisation d'un berger, en pleine forêt, ou encore la "pause" dans un bar à hôtesses...
Dans le même temps, on frôle le drame, avec ces militaires zaïrois si prompts à la gâchette et, plus tard, ces soldats français pas franchement exemplaires. (On est alors en pleine insurrection au Shaba, l'ex-Katanga.)
Incidemment, le héros découvre la pauvreté de la grande majorité des habitants, la violence des rapports sociaux... et certains héritages de la colonisation belge, les "fantômes du roi Léopold".
Sur le plan visuel, le noir et blanc est très réussi. Le style est en général assez classique, avec quelques envolées poétiques voire surréalistes. Ainsi, lorsque le héros apprend qu'il va devoir se rendre en Afrique, le café qu'il vient de renverser forme une tache particulière :
Un peu plus tard, le fantastique est à l'oeuvre dans un cauchemar du jeune homme :
Les auteurs ont aussi glissé un hommage à l'un des maîtres de la bande dessinée, Hergé, plus précisément à Objectif Lune :
Cette histoire serait toutefois trop limpide si n'intervenaient pas divers espions et agents à la solde de puissances étrangères. Nous sommes en pleine Guerre froide et pas mal de monde compte sur un échec de l'entreprise zaïroise. Le héros va devoir apprendre à naviguer entre des experts en tromperie. Cet aspect fictionnel de l'intrigue lui donne encore plus d'épaisseur. Cette bande dessinée est à ne pas manquer !
09:14 Publié dans Histoire, Loisirs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, bd, bande dessinée, bande-dessinée
dimanche, 24 août 2014
Campus Stellae
C'est le titre d'une série de quatre bandes dessinées, dont l'intrigue tourne autour des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Le tome 1 s'intitule Le Premier Chemin :
Il y est question d'un mystérieux trésor, qui aurait été rapporté des croisades. Une statue de Vierge à l'enfant détient peut-être la clé de l'énigme :
C'est un bon polar, qui nous emmène entre Le Puy et Moissac, en passant par Aubrac, Conques, Figeac et Rocamadour (en gros le long de la via podiensis). L'histoire se conclut toutefois de manière un peu abrupte.
Le tome 2 s'intitule Les Deux Reliques :
On y croise encore des pèlerins sur le chemin de Saint-Jacques, en France. Des puissants montent une arnaque à laquelle un moine va se prêter :
L'intrigue, originale, m'a paru un petit peu confuse, parce qu'on a du mal à identifier clairement tous les personnages, notamment ceux du groupe du pèlerin auquel le moine s'est joint. Mais cela se suit avec plaisir, parce qu'on nous ménage pas mal de rebondissements... avec une pirouette en conclusion.
Les femmes sont au premier plan du tome 3, Le Pont des Trois Diables :
Cela commence par une histoire d'amour contrarié. Un double drame vient rapidement se greffer dessus. Le chemin provenço-languedocien est le théâtre d'une fuite et de rencontres pas toujours rassurantes. Les bandits écument les routes, à la recherche de proies faciles. Le fond de l'intrigue est violent, avec ses tensions sociales. Le sang coule mais, avec l'aide de Dieu (si besoin est en lui donnant un coup de main), certains personnages pourront s'en sortir.
La série se termine par le tome 4, La Mort aux quatre visages :
L'histoire se déroule dans le cadre de la Guerre de Cent Ans, au cours d'une période d'accalmie belliqueuse, mais au coeur de la Peste noire. On va enfin voir des personnages aller au bout du pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle... après quelques péripéties. On suit plus particulièrement un ancien chevalier, dont on va découvrir le passé.
On peut lire les quatre bandes dessinées indépendamment les unes des autres, ou à la suite, puisque des liens (plutôt ténus) sont tracés de l'une à l'autre. C'est globalement de bonne facture, mais j'aurais aimé que certains aspects des histoires soient davantage développés.
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jeudi, 31 juillet 2014
Jaurès is alive !
Une bande dessinée (coéditée par Glénat et Fayard) rend hommage à l'ancien député de Carmaux, fondateur de L'Humanité et unificateur des socialistes français :
Ce n'est pas une biographie. La trame principale court de l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand, le 28 juin 1914, à celui de Jean Jaurès, il y a tout juste cent ans. Le récit englobe plusieurs lieux. Il va de Sarajevo à Paris, en passant par Reims, où l'on découvre Raoul Villain (le futur assassin). Il s'étale même sur plusieurs époques, à travers des retours en arrière, qui permettent de (re)découvrir les étapes importantes de la carrière de Jaurès.
Cela fonctionne presque à rebours. Ainsi, c'est d'abord l'action de Jaurès contre la loi de trois ans (sur la durée du service militaire) qui est mentionnée, à travers notamment le célèbre discours du Pré-Saint-Gervais (du 25 mai 1913), à l'occasion duquel a été prise une photographie qui a été consciencieusement redessinée pour l'album :
Puis, on remonte aux engagements précédents : la promotion de la laïcité, la fondation de L'Humanité, l'unification des socialistes, la défense d'Alfred Dreyfus. On nous présente Jaurès en famille ou en compagnie d'autres militants, souvent aussi en plein discours. Le dessin est très classique et une grande partie des dialogues sont des extraits de ses interventions. Des reproductions de journaux sont ajoutées de temps à autre, ainsi que quelques caricatures d'époque :
Enfin (alors que la trame évoque les derniers jours de Jaurès, passés à défendre la paix), on arrive à ses débuts politiques. Est d'abord illustré le soutien aux grévistes de Carmaux et au maire syndicaliste Calvignac, en 1892 :
On découvre un Jaurès jeune (33 ans)... et même davantage quelques planches plus loin, quand il est question de sa première élection de député (de la circonscription de Castres), en 1885. A l'époque, ce jeune prof de philosophie, qui ne porte encore que la barbe (et pas la moustache), est classé "républicain opportuniste". Notons que celui qui fut l'un des trois ou quatre hommes de gauche les plus influents de ces 130 dernières années n'a jamais été ministre. Il a surtout détenu le mandat de député, qui a brièvement alterné avec celui de conseiller municipal puis d'adjoint au maire de Toulouse. Pas de cumul, de l'engagement, de l'honnêteté, une absence évidente d'arrivisme... autant de leçons pour tous les Pierre Moscovici de notre temps.
La bande dessinée se termine par un petit cahier historique. L'édition originale est complétée par le fac-similé de la première page du numéro 1 de L'Humanité, du lundi 18 avril 1904. L'éditorial est évidemment signé Jaurès, mais d'autres contributeurs ne sont pas des inconnus.
P.S. (!)
Sur le site des éditions Glénat, on peut lire les dix premières pages.
21:23 Publié dans Histoire, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, bd, bande dessinée, france, actualité, jaures
vendredi, 30 mai 2014
Soulages en BD
Elle est intitulée Chercheur de lumière (une formule qu'a reprise un journaliste du Monde, dans son récent article consacré à l'ouverture du musée). Elle a été réalisée par des élèves du lycée Foch. Elle est parue il y a un peu plus de trois mois.
Sur un plan conceptuel, la bonne idée est de s'appuyer sur la biographie de Pierre Soulages pour (tenter d')expliquer son oeuvre. Chaque page ou double-page a été réalisée par un ou deux élèves... évidemment en noir et blanc.
Fort logiquement, après avoir présenté leur rencontre avec l'artiste, les lycéens commencent par évoquer la genèse de l'inspiration de Soulages. Je trouve que Léa Poux montre assez bien la fascination pour les jeux d'ombre et de lumière :
Quelques pages plus loin, c'est dans un style qui oscille entre surréalisme et expressionnisme qu'est représentée l'action créative (par Sarah Calmettes) :
Si, d'un point de vue formel, je trouve cette partie très réussie (les dessins étant souvent de qualité médiocre... mais, bon, ce sont des adolescents), sur le fond, c'est assez pédant. Mais, comme les phylactères semblent rapporter des propos de Pierre Soulages, il est possible que ce soit à lui qu'il faille attribuer certaines expressions pompeuses.
L'inspiration préhistorique aurait peut-être mérité un traitement plus approfondi. C'est une partie qui m'a plutôt déçu. On peut aussi rapidement passer sur l'extase exprimée par certains lycéens représentés dans la BD... (Cet ouvrage n'a évidemment pas pour but d'inciter à une réflexion critique sur l'oeuvre de Soulages. On est dans la promotion.)
Contrairement à ce que certaines personnes malintentionnées pourraient croire, le peintre n'a pas choisi l'art abstrait par manque de technique. Il a bien été reçu aux Beaux-Arts, qu'il a rapidement quittés. Il a aussi peut-être renoncé à une possible carrière dans le rugby... Nul doute qu'il y aurait développé sa technique de l'oeil-au-beurre-noir !
La suite de la BD évoque son installation dans le Midi, sa rencontre de peintres contemporains d'avant-garde et ses premières expositions. Du brou de noix à l'outrenoir, on finit par arriver à Conques et ses vitraux. Rien ne particulièrement emballant là-dedans, si ce n'est le passage sur les outils de Soulages (par Claire Bailleau, qui s'est sans doute inspirée d'une photographie de Michel Dieuzaide) :
L'ouvrage se termine par un historique de la construction du musée, des premières idées jusqu'à son inauguration.
Notons qu'il est vendu à un prix modique (10 euros). Bien que n'étant pas très intéressé par l'oeuvre de Pierre Soulages, je pense que c'est une initiative à saluer.
10:22 Publié dans On se Soulages ! | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, culture, art, peinture, bd, bande-dessinée, bande dessinée
samedi, 14 décembre 2013
Demba Diop, la force des rochers
Cette bande dessinée est consacrée aux tirailleurs sénégalais qui ont combattu dans l'armée française pendant la Première guerre mondiale.
La couverture reproduit une oeuvre du peintre suisse Eugène Burnand. Ce pastel représente un tirailleur originaire du Soudan (sans doute l'actuel Mali), appelé Coulma Cone. Cette multiplicité d'origines des célèbres tirailleurs est d'ailleurs évoquée par la bande dessinée :
C'est toute l'Afrique de l'Ouest qui a fourni, de gré ou de force, des hommes jeunes pour servir sous l'uniforme français.
L'histoire débute dans la campagne sénégalaise, où vivent deux frères dont les lecteurs vont suivre les aventures :
Vient ensuite le départ du village, dans le camion des recruteurs métropolitains. Avant de partir Demba reçoit de sa fiancée un collier censé le protéger du mauvais oeil... et lui donner "la force des rochers".
Les Africains vont vivre un véritable périple. Ils découvrent le transport maritime puis, une fois en métropole, subissent un entraînement rigoureux. Leur unité a vocation à participer à l'offensive du Chemin des Dames, en 1917. Les scènes de combat mêlent réalisme et expressionnisme (certaines vignettes étant à la limite du supportable) :
Je ne vais évidemment pas vous raconter la suite. Sachez que la BD prend soin de décrire un peu la vie des tranchées et les relations qui se nouent entre différents types de combattants. L'histoire est linéaire, sans effet de manche. Ce n'est pas le chef-d'oeuvre du siècle, mais un honnête travail, qui rend hommage à une catégorie de soldats que l'on croit connaître.
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dimanche, 24 novembre 2013
Transperceneige, l'intégrale
Les éditions Casterman ont eu la bonne idée de ressortir les trois tomes de la bande dessinée qui a inspiré le film Snowpiercer. Réunis en un volume, ils forment une saga d'environ 250 pages, qui s'étale sur plusieurs dizaines d'années.
Les différents auteurs, ainsi que l'aventure de la bande dessinée, nous sont présentés en introduction. (Pour mieux connaître Jean-Marc Rochette, on peut lire l'entretien qu'il a accordé au site Rue89.) Vient ensuite le premier tome, Le Transperceneige, qui a pour l'essentiel fourni la trame du film. On n'y trouvera cependant pas les personnages coréens. Les héros vont former un couple. Lui vient du fond du train :
A première vue, ce Proloff ne paie pas de mine, mais il a tout de même réussi à se hisser seul jusqu'à la frontière entre la queue du train (où végètent les "queutards") et le milieu (où vit, dans de meilleures conditions, ce qu'on pourrait appeler la classe moyenne). Plus loin, la classe supérieure se la coule douce, coupée de l'extrémité avant, occupée par on ne sait qui.
Dans son périple, Proloff va être accompagné par une ravissante ressortissante du milieu du train, Adeline Belleau, une militante qui lutte contre les inégalités :
L'expression "tiers-convoi" fait évidemment allusion au Tiers Etat français. On remarque aussi que la bande dessinée désigne clairement les militaires (avec leurs grades) comme étant le bras armé de la dictature qui règne sur le train. (Dans le film, ils apparaissent plus comme une milice.) La dénonciation du clergé officiel est encore plus virulente :
On en apprend au fur et à mesure que le couple, sous bonne garde, remonte vers l'avant du train. Plusieurs scènes "pittoresques" émaillent le parcours, comme la rencontre de bandits de grand chemin, la découverte de la "cuisine centrale" (encore plus étrange que celle du film) et de wagons-jardins, comme celui-ci :
Quelques très belles vues de l'extérieur nous sont proposées. Le convoi est de plus équipé d'un poste d'observation en hauteur, vers l'avant. Il constitue un avantage indéniable pour ceux qui le maîtrisent :
Si, comme dans le film, la dernière partie de l'histoire nous met en contact avec le mystérieux occupant de la locomotive, les circonstances divergent par rapport au film... et ménagent une suite différente. On la découvre dans le tome 2, L'Arpenteur, qui semble se dérouler une trentaine d'années plus tard. Il commence pourtant par un retour en arrière, qui situe l'action à un stade intermédiaire. On découvre les deux jeunes personnages qui vont former le nouveau duo de héros.
Puig Vallès est d'abord un gamin curieux, fasciné par les "arpenteurs", ces soldats-suicides qui explorent les environs du train lors de ses arrêts. Il ne s'agit plus du Transperceneige, mais du Crève-Glace. On ne saura que plus tard ce qu'il est advenu du premier train. On découvre aussi de nouveaux éléments sur ce qui est arrivé à la planète. La société est tout aussi inégalitaire et semble s'inspirer du roman 1984 et du film Soleil Vert.
Kennel est la tête politique de l'oligarchie qui contrôle le train. Sa fille Val, à l'esprit éveillé, va devenir la créatrice en chef des fictions mentales dans lesquelles l'élite du wagon se plonge pour passer le temps. Elle se pose néanmoins beaucoup de questions sur le fonctionnement du Crève-Glace.
Puig Vallès est d'abord utilisé par les dirigeants, avant de conquérir son indépendance. Dans le même temps, la population du train est travaillée par le doute et un mouvement apocalyptique émerge.
Cela nous mène au troisième tome, intitulé La Traversée. Deux intrigues s'entrecroisent. Il est toujours question du devenir du train en liaison avec le climat de la planète. De mystérieux signaux ont été perçus. Doit-on essayer d'entrer en contact avec leurs émetteurs ? Dans le même temps, les wagons fourmillent de complots. La tension monte, jusqu'au dénouement final.
Je trouve la bande dessinée plus forte, plus fouillée... et politiquement plus incorrecte. Mais le film est incontestablement plus spectaculaire, plus travaillé sur le plan visuel (même si le noir et blanc de la BD est de qualité)... plus optimiste aussi.
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dimanche, 17 novembre 2013
La Brigade juive - tome 1 Vigilante
Cette nouvelle bande dessinée, dont l'histoire sera développée sur trois tomes, a pour toile de fond un aspect méconnu de l'histoire :
La Seconde guerre mondiale vient de s'achever (officiellement) en Europe... mais la violence n'a pas disparu. En Pologne, deux soldats juifs rattachés à l'armée britannique mènent une bien étrange mission, qui les mène dans un couvent :
La gamine aux cheveux bruns va jouer un rôle croissant dans l'intrigue, mais elle constitue une sorte d'épisode imprévu dans le projet des deux soldats, qui sont là d'abord pour se venger. Il leur faut ruser avec les principales forces d'occupation de la Pologne libérée du nazisme, celles de l'Armée rouge :
Mais c'est au détour d'une colline que peut surgir le plus terrible danger. La Prusse orientale n'est pas loin... et l'on se demande un instant si cette apparition n'est pas celle d'un fantôme :
Si la quête des deux soldats est fictive, le contexte dans lequel elle est placée est authentique : les massacres ont continué (certes, avec une intensité plus faible) dans plusieurs régions d'Europe, après la capitulation allemande... et la Brigade juive, recrutée en Palestine mandataire, a bien existé. (Comme on le voit dans la bande dessinée, avant d'arriver en Europe de l'Est, les soldats ont combattu en Italie du Nord.) Certains de ses membres ont même constitué un groupe de vengeurs, dont les projets, s'ils n'ont pas toujours abouti, étaient assez "radicaux".
A la fin de l'épisode, les personnages principaux se demandent si leur avenir n'est pas plutôt en Palestine. A suivre...
13:25 Publié dans Histoire, Livre, Proche-Orient | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bd, bande dessinée, histoire, bande-dessinée
vendredi, 08 novembre 2013
Anne Frank au pays du manga
J'ai récemment découvert (par hasard) ce reportage en bandes dessinées, publié par Les Arènes et Arte Editions :
A l'origine, c'est une oeuvre multimédia, encore consultable sur le site d'Arte. Aux dessins s'ajoutent des contenus audio et vidéo, ainsi que des animations particulières à certains dessins. On remarque que le chef de l'équipe qui s'est rendue au Japon n'est pas le dessinateur, qui a semble-t-il eu tout loisir d'égratigner son patron (Alain Lewkowicz) dans le récit qu'il a mis en images.
Le projet était de comprendre les raisons du succès du Journal d'Anne Frank adapté en manga et de confronter la mémoire occidentale de la Seconde guerre mondiale à la perception qu'en ont les Japonais.
Le premier chapitre est consacré à la découverte de l'ampleur du phénomène des mangas. Il y en a pour tous les goûts... et l'on publie vraiment sur tout et n'importe quoi, sans hiérarchiser (les oeuvres de Victor Hugo côtoient Mein Kampf d'Hitler), ce qui a conduit Alain Leiwkowicz à imaginer le générique d'une émission "grand public" pour rendre cette idée :
Les reporters ne sont pas au bout de leurs surprises. Ils rencontrent la personne qui veille à la publication du manga consacré à l'enfant juive. C'est un chrétien, qui a appris l'hébreu. Il est même à l'origine de la création d'un musée de l'extermination des juifs... près d'Hiroshima !
Les Français constatent que la population japonaise est ignorante de ce qui s'est passé en Europe durant la Seconde guerre mondiale... et qu'elle n'en sait pas plus sur les crimes commis par l'armée japonaise en Asie. L'ironie de l'histoire est qu'un diplomate japonais est l'auteur de l'un des plus beaux gestes d'humanité de la guerre : Chiune Sugihara a accordé des milliers de visas pour le Japon à des juifs lituaniens, malgré l'opposition formelle de ses supérieurs. (Bien entendu, un manga lui a été consacré.) L'équipe de journaliste finit par rencontrer son fils, qui leur paraît peu concerné par la chose.
Le deuxième chapitre mène le groupe au sanctuaire de Yasukuni, où sont vénérés les mânes des soldats morts pour la patrie... y compris les criminels de guerre condamnés par le procès de Tokyo :
C'est le début d'une série de rencontres avec divers représentants de l'extrême-droite nippone. Nombre d'entre eux disent être "non acceptionnistes" : ils nient la réalité du massacre de Nankin commis par les troupes japonaises en 1937.
Au temple, plusieurs entretiens ont été réalisés. Le premier montre un homme encore jeune, développer un discours argumenté, sur un ton calme. On peut aussi entendre une vieille dame, inoffensive au premier abord, mais qui finit par se déclarer fière de l'attaque de Pearl Harbor, à laquelle son beau-père a participé. Plus tard, les journalistes rencontrent des militants nationalistes, plus ou moins subtils.
Cependant, si l'on peut regretter leur aveuglement quant aux crimes du Japon militaristes, on ne peut pas rejeter tous leurs arguments : l'impérialisme américain n'est pas une légende et la Chine communiste a massacré bien plus de monde. C'est peut-être de ce côté-là que les journalistes auraient dû creuser : dans quelle mesure l'émergence de la Chine comme puissance économique explique-t-elle la résurgence du nationalisme nippon ?
Le troisième chapitre met les Français en contact avec le monde des mangas engagés. Ils font la rencontre de Motomiya Hiroshi, qui a osé jadis mettre en scène le massacre de Nankin. Ils découvrent un homme ordinaire, qui a dû en rabattre pour continuer à gagner sa croûte. Par la suite, c'est un éditeur "révisionniste" qui les reçoit. Pour se remonter le moral, le trio d'enquêteurs part à la rencontre d'une enseignante qui a été suspendue pour avoir contesté les aspects nationalistes de l'éducation de son pays.
Le quatrième et dernier chapitre mène les journalistes dans la préfecture d'Hiroshima (au sud). Ils y retrouvent le révérend Otsuka et son musée du génocide. (On peut y entendre un témoignage marquant, celui d'Otto Frank, le père d'Anne, qui a rencontré jadis le révérend et a été très touché par la connaissance que les Japonais avaient de l'histoire de sa fille.) Ils sont un peu désarçonnés par le fait que, pour l'équipe du musée, il soit plus important de transmettre un message de paix et de gentillesse que d'enseigner de manière rigoureuse l'histoire de la Seconde guerre mondiale.
Le périple s'achève au mémorial d'Hiroshima, qui est dirigé par... un Américain, Steven Leeper, un sage :
Les journalistes français quittent le Japon avec peut-être moins de certitudes qu'à leur arrivée. La bande dessinée a l'honnêteté de retracer ce cheminement, sans chercher à enjoliver : elle montre notamment qu'Alain Lewkowicz avait, au départ, des idées très (trop ?) arrêtées. C'est de plus joliment dessiné (en noir et blanc) et cela fourmille d'anecdotes sur le Japon contemporain.
22:33 Publié dans Histoire, Japon, Livre, Web | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, histoire, bd, culture, bande dessinée, bande-dessinée
lundi, 28 octobre 2013
Astérix chez les Pictes
Les aventures des héros créés par René Goscinny et Albert Uderzo ont bercé mon enfance. Lorsque le dessinateur s'est retrouvé seul pour continuer la série, j'ai suivi, au départ. Mais j'ai été assez rapidement déçu. Avant aujourd'hui, l'album le plus récemment sorti que j'avais lu était Astérix chez Rahazade, que l'on m'avait offert. A l'époque, j'avais remercié pour le cadeau, mais la lecture m'avait convaincu de définitivement arrêter. C'est la présence de Jean-Yves Ferri au scénario qui m'a incité à retenter l'expérience.
J'avais aimé son De Gaulle à la plage et les extraits du nouvel album qui ont été diffusés m'ont encouragé à l'acheter. Le dessin y est en effet fidèle à la tradition : les personnages n'ont pas physiquement changé. En revanche, au cours de l'histoire, les hommes du village, sous la pression de leurs femmes, vont devoir troquer les braies gauloises contre des habits plus "tendance", dont la mode a été introduite par un drôle d'invité, le Picte Mac Oloch.
Le nom "Picte", sans doute d'origine latine, désignait les habitants du nord de la Grande Bretagne restés indépendants de Rome. Sur le terrain, le terme est plutôt un générique sous lequel on regroupait différentes populations "peintes", c'est-à-dire tatouées :
On ne sera donc pas étonné de constater que Mac Oloch arbore de curieux dessins sur son torse :
Notons que cet "indigène" n'est pas sans rappeler un autre grand costaud créé par Goscinny et Uderzo, l'Indien des plaines Oumpah-pah :
(extrait de Oumpah-pah et la mission secrète)
Comme l'Indien, le Picte sait se battre, même si on le voit peu à l'oeuvre dans cette histoire. De plus, ses cheveux sont arrangés de manière particulière et il lui arrive régulièrement de lancer un cri de ralliement qui n'est pas sans rappeler le cri de guerre de l'Indien.
Ici s'arrête la ressemblance. Mac Oloch est un personnage somme toute secondaire. L'intrigue, si elle tourne autour d'une rivalité au sein de sa tribu, est portée par les deux héros, le chien Idéfix ne participant pas à l'expédition outre-mer... et, au vu de la pratique sportive qu'affectionnent les Pictes (le lancer de tronc d'arbre), c'est sans doute mieux. Par contre, on voit souvent Astérix et Obélix se chamailler. C'est parfois un peu outrancier.
Du côté des réussites, il faut signaler les jeux de mots et les clins d'oeil anachroniques, marque de fabrique de cette bande dessinée. Du centurion Taglabribus au petit frère de Mac Oloch, nommé Mac Mini, on ne s'ennuie pas à déchiffrer ces traits d'esprits.
Ceci dit, cela manque un peu de folie. C'est bien conçu, mais de manière assez sage, presque scolaire. Même l'intervention d'un célèbre monstre, pour pertinente qu'elle soit, manque de relief. On n'a sans doute pas voulu prendre le moindre risque pour l'album de la passation des pouvoirs. Espérons que, par la suite, les auteurs "se lâcheront" un peu plus.
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